Quel climat pour la France ? National Géographique Octobre 2004

(actualisé le ) par Administrateur

Un petit texte pour commencer la réflexion sur le cours de seconde ... La tête au chaud cet été ;-)

Oh, quelle chaleur en ce mois de novembre ! Le thermomètre frôle les 24 °C et pourtant, personne n’a le cœur à profiter du soleil. Nous sommes en 2030, dans les locaux du parc naturel régional de Camargue. En urgence, 30 « experts » - épidémiologistes, biologistes, climatologues, élus, industriels, chasseurs, et même le prêtre des Saintes-Maries-de-la-Mer, tous choisis pour représenter les intérêts de la région- ont été réunis pour prendre une grave décision. Car les études sont formelles, la calotte glaciaire de l’Antarctique ouest, la plus grande réserve d’eau douce de la planète, menace de se détacher. Les risques d’une telle rupture sont estimés à 20 %, mais cet événement provoquerait une élévation du niveau de la mer de 5 à 6 m. Or, la Camargue, ne culmine qu’à 1 m au-dessus du rivage...
Retour en 2004. Les 30 experts sortent exténués de leur réunion. Car si la situation qu’ils viennent d’étudier est totalement fictive, ils ont
joué le jeu le plus sérieusement du monde. « D’après ce que nous savons aujourd’hui, le scénario-catastrophe qu’ils viennent de vivre est très peu probable, explique Marc Poumadère, responsable en France de cette étude baptisée Atlantis (l’Angleterre et les Pays-Bas y ont également participé). L’intérêt est là, justement. De tels événements sont si rares qu’on cherche peu à imaginer leurs conséquences. Nous avons voulu tenter l’expérience. » Pour se faire peur ? Pas seulement. La Camargue est l’une des régions françaises les plus menacées par un changement climatique. Durant le siècle à venir, hausse des températures, sécheresse mais aussi et surtout élévation du niveau de la mer de plus de 1 m sont envisagées par les modélisateurs.
Pour le moment, la Camargue ne montre que peu d’évolutions dues au climat. Après avoir parcouru plus de 20 km sans croiser grand monde, je pénètre enfin sur le petit chemin qui mène à la station biologique de la Tour du Valat. Au cœur d’un domaine de 2 600 ha (dont 1 100 classés en réserve naturelle), la station observe depuis 1954 l’évolution de la faune de la région. Vétérinaire et spécialiste des oiseaux, Michel Gauthier-Clerc a déjà remarqué quelques signes avant-coureurs d’un changement climatique : « On note un avancement des dates de migration et de ponte chez certains oiseaux. La moitié des espèces européennes progressent vers le nord. D’autres hiver­nent plus fréquemment en Europe. Le héron crabier, qui niche en Camargue, par exemple, a l’habitude de migrer au sud du Sahara. Depuis cinq ans, une population grandissante choisit de s’arrêter en Andalousie. Et on s’attend à ce que ce type de phénomènes s’amplifie. »
Si des indices de changement existent, l’heure n’est pas encore à l’alerte générale. Loin de là. À l’embouchure du fleuve, la paisible commune de Port-Saint-Louis-du-Rhône commence tout juste à réfléchir au problème. Un « observatoire de l’architecture, de l’habitat et de la montée des eaux » est en projet. Et devrait être hébergé courant 2005 dans... une maison sur pilotis ! Aux Saintes-Maries-de-la-Mer (le village le plus menacé, mais aussi le plus touristique) en revanche, on ne se projette pas aussi loin. Avec bonhomie, le premier adjoint à l’urbanisme et à l’environnement repousse les oiseaux de mauvais augure : « Le changement de climat, on le vivra en temps voulu. Pour le moment, notre problème vient du manque de sédiments et des crues du Rhône. Le reste... » Le reste, c’est le scénario imaginé couramment par les scientifiques.
À force de houle, de vagues et de tempêtes, les Saintes seraient promises à devenir... une île. Mais l’évacuation n’est pas pour demain. Géologue au Cerege (Centre européen de recherche et d’enseignement de géosciences de l’environnement), Claude Vella reconstitue les traits des anciens littoraux. « Les effets actuels de l’érosion, du recul des côtes et des crues sont normaux, confirme-t-il. Toutefois, si les modèles sont vrais, et que la mer montait de 1 m, il n’y aurait pas besoin de plus d’études. Il suffit de regarder la topographie des côtes pour com­prendre que la Camargue serait en grande partie sous les eaux. » Face à cette éventualité, la grande majorité des acteurs -y compris ceux de l’étude Atlantis- sont d’accord. Si un tel événement se produit, fini les digues et autres protections dérisoires. Il faudra accompagner la nature plutôt que de lutter contre elle.
Mais, au-delà de cette situation particulière, que va devenir le reste de la France ? D’autres régions sont-elles également menacées de disparition ? Pour tenter de répondre à ces questions, les climatologues de Météo France ont mis en place un modèle de simulations, appelé Arpège-climat, destiné à affiner sur l’Europe les résultats des scénarios globaux. Le test a été effectué en prenant comme hypothèse un doublement de la concentration atmosphérique en CO2 aux environs de 2100. Les « prévisions » d’Arpège (affectées toutefois par une double incertitude : on ignore ce qui va réellement se passer au niveau des rejets de gaz à effet de serre et comment le système terre-océans va réagir) concernant la période 2070-2100 livrent donc une nouvelle carte de France. Globalement, la température s’élèverait en moyenne de 2 à 3°C, voire de 4°C en période estivale. Une broutille ? Pas vraiment. Au XXe siècle, la température moyenne n’a augmenté que de 0,6°C sur la surface du globe (1 °C en France). Conséquence : en 2100, les glaciers fondront de plus en plus rapidement. Et à 1500 m, la durée d’enneigement des stations de ski diminuerait d’environ un mois.
En été, le réchauffement serait plus marqué qu’en hiver. « La canicule que nous avons connue en août 2003 pourrait devenir une parfaite illustration de la plupart des étés envisagés par Arpège », prévient Michel Déqué, modélisateur à Météo France. Avec des risques accrus d’incendies de forêt et de diminution des réserves en eau des sols. En effet, dans le Sud de la France, la sécheresse s’accentuerait, tandis qu’il devrait pleuvoir davantage dans le Nord -mais durant l’hiver cette fois. D’après les modèles du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), le niveau de la mer monterait de 20 cm à 1 m. Les rivages à lagunes du Languedoc et les zones côtières « basses » risqueraient la noyade. Toutes ces évolutions ne seront pas sans effet sur notre santé ni sur l’agriculture. Si la température augmente d’un ou deux degrés, la productivité du blé et du maïs pourraient également croître. En revanche, au-dessus de 3°C, la tendance s’inverserait. Et des problèmes d’irrigation pourraient se poser.
Du côté des vignobles, le changement est déjà à l’oeuvre. À Chateauneuf-du-Pape (Vaucluse), les vendanges s’effectuent dorénavant trois semaines plus tôt qu’il y a soixante ans. La faute à des saisons plus douces. Mais que se passera-t-il dans cinquante ou cent ans, si toutes les températures ont augmenté de plusieurs degrés ? « En 2003, malgré la canicule, la vigne a, semble-t-il, "bien résisté en terme de qualité, mais on ne sait pas quelle augmentation de température elle peut supporter », concède Bernard Seguin, chercheur à l’Inra (Institut national de la recherche agronomique). Les cépages du Bordelais risquent bien d’avoir trop chaud dans leur région d’origine. Autant s’attendre, donc, à voir produire du bordeaux à Angers ou du bourgogne en Alsace. Mais sera-t-il possible de délocaliser des AOC ? Et pourra-t-on obtenir la même typicité, le même goût ? Pas sûr. D’autant qu’on ignore encore comment toutes ces variétés s’adapteront.
Les pêcheurs aussi s’attendent à des changements. Ils ont d’ores et déjà vu de nouvelles variétés apparaître. Selon Jean Boucher, chercheur en écologie halieutique à l’Ifremer, on observe de plus en plus régulièrement le long des côtes françaises des poissons de la zone tropicale. En revanche, le saumon, qui aime l’eau froide, le cabillaud et le merlu sont en train de régresser.
Nombreux, les effets possibles d’un changement climatique ne seront pas pour autant catastrophiques en France. Pourtant, plus ces événements seront rapides, plus les conséquences écologiques seront grandes. Membre du Giec et directeur de recherche au CNRS, Hervé Le Treut modélise le climat depuis près de trente ans. Je le retrouve dans son bureau de Jussieu, à Paris. Vraisemblablement, l’université n’a pas bénéficié de ses conseils de prévention pour lutter contre l’effet de serre : l’air climatisé, centralisé, fonctionne à plein régime. « Les changements climatiques ? Les sociétés riches comme la France sauront s’y adapter. En revanche, les pays en développement risquent de souffrir bien davantage. Cette situation provoquera inévitablement des impacts socio-économiques importants, les tensions seront accrues. Tous les pays le ressentiront. » Finalement, ce n’est peut-être pas seulement un monde plus chaud, mais aussi un monde plus dur qui nous attend...